DECHETCOM du 8/01/2013
Il faut bien le reconnaître, par les temps qui courent, la France n’est pas championne de grand-chose. Oui, bien sûr, un peu en sport et notamment à la pétanque, on l’oublie trop souvent. Mais quand on va chercher du côté des classements économiques (sauf en tourisme, peut-être), industriels, en matière de formation, on retrouve le plus souvent notre joli pays dans les limbes. Reste un domaine où nous sommes vraiment les champions, tout du moins en Europe, puisqu’il n’y a à peu près que là que le principe s’applique, c’est en matière de filière à responsabilité élargie du producteur. Pas moins de 24 filières en fonctionnement ou en cours de formation. Il suffit que l’on identifie un flux de déchets à peu près cohérent, pour que, ni une ni deux, on crée une petite filière REP. Si ces organisations se contentaient d’accomplir leur mission première qui est en fait de lever des impôts qui ne portent pas ce nom et de reverser la monnaie, ainsi ramassée, aux collectivités locales pour collecter sélectivement les flux désignés, il n’y aurait que demi-mal puisque la population a accepté sans rechigner cette nouvelle forme de ponction. Mais c’est qu’elles sont parfois hégémoniques dans l’âme, ces organisations. Dès qu’elles font un certain poids, certaines d’entre elles n’hésitent pas : elles souhaitent dicter leurs règles et ont envie de donner des leçons…
Adulées par le monde politique, bien rangées derrière l’étendard du « On est là pour sauver la planète », les filières REP ne souffrent pas vraiment la contestation. Il faut donc saluer ici le courage de la Fédération des entreprises de recyclage, Federec, d’avoir, dans un petit livre blanc d’une quarantaine de pages, entrepris une critique constructive de ce principe qui, s’il n’est au demeurant pas mauvais en soi, donne parfois lieu dans son application, à quelques dérives qu’il convenait sans doute de pointer du doigt.
Pour une fois, ce n’est pas l’Europe…
Vu l’utilisation débordante qu’elle en a fait, on pourrait croire que le principe de la REP est né du cerveau d’un technocrate de Bruxelles. Le principe vient de plus haut.
Dieu ? N’exagérons rien, même si parfois les chantres de la REP laissent entendre que cette hypothèse n’est pas à exclure…
C’est en fait au sein de l’OCDE que le principe a été élaboré. Tout le monde connaît le principe : il vise à rendre le « metteur sur le marché » d’un produit responsable de celui-ci tout au long de sa vie jusqu’à son élimination. Le producteur prend alors conscience, quasiment spontanément (parce qu’avant il ignorait bien tout cela), des coûts induits par son activité en termes d’élimination de déchets ce qui va inéluctablement le conduire à réduire la quantité et la nocivité des déchets à la source par l’écoconception de ses produits et process. Force est de constater que dans certains domaines, quant à la nocivité des progrès ont été accomplis. Est-ce un effet de la mise en place des REP ?
On vous dira aussi que, par exemple, grâce à ce principe, on a considérablement réduit le poids des emballages : là, évidemment, la question se pose de savoir si l’économique (la réduction du poids des emballages induit une moindre consommation de matières premières et donc de réduction de coûts) n’a pas pris le pas sur l’écologique. Mais comme dirait l’autre, n’y a-t-il pas que le résultat qui compte ?
Contestables, dites-vous ? La première filière REP installée en France vient tout juste de fêter, dans la joie et la bonne humeur, ses vingt ans. On dispose donc aujourd’hui d’un retour d’expériences suffisant pour analyser et critiquer, si nécessaire, l’application de ce principe. Lorsque l’on gratte un peu, c’est pour s’apercevoir que dans l’univers des REP tout n’est pas aussi parfait que voudrait bien nous le laisser croire l’abondante « communication » émanant de ces organismes. Au-delà des « accidents de parcours » de certains, les critiques se font plus vives que ce soit au plan européen ou en France, sur la gestion des filières par les éco-organismes au point que l’Autorité de la Concurrence a été saisie de nombreuses fois.
Récemment, la fédération des entreprises de recyclage a saisi cette structure sur le principe de proximité proposé par Ecofolio. Il était donc opportun de se poser quelques questions sur le fonctionnement de ces éco-organismes qui constituent une forme de choix opérationnel pour mettre en application le principe, mais qui ne sont pas une fatalité : la REP peut être appliquée sans éco-organisme, c’est le cas en France de la filière des VHU ou des batteries automobiles et industrielles. Ce que vise le Livre Blanc de Federec est de contribuer à une meilleure efficacité globale du principe de la REP et donc à développer le recyclage à des conditions économiques supportables pour l’ensemble des parties prenantes.
On est en droit de se poser la question ce qui fut le phénomène déclencheur de la décision de Federec de se lancer dans la rédaction de ce livre blanc. Certes les relations entre l’organisation professionnelle et les éco-organismes n’ont pas toujours été parfaitement lisses. Federec a notamment largement contribué, sur le terrain des déchets d’emballages ménagers à remettre en question la situation de monopole qui préexistait à la mise en place de la Reprise Garantie aujourd’hui devenue Valorisation Garantie Opérateur. Mais la fameuse goutte d’eau, vous savez, celle qui fait déborder le vase, a sans doute été cet arrêté du 02 mai 2012 qui fait encourir à un professionnel de la gestion des déchets s’il se trouve en possession d’un DEEE une amende de 3 750 € en n’étant pas sous contrat avec un éco-organisme. C’est d’ailleurs sur ce thème que s’ouvre le livre blanc.
Libre accès aux gisements : il y a matières à débattre…
Accéder librement aux gisements de tous les déchets potentiellement recyclables par les professionnels du secteur est sine qua non du développement du recyclage, pourvu que ces professionnels répondent aux obligations réglementaires nécessaires à l’exercice de leur métier. Or, le décret du 02 mai crée clairement une discrimination entre les acteurs du recyclage. Si l’application de ce décret lèse un certain nombre de professionnels du recyclage en les empêchant d’accéder à une partie du gisement valorisable, il lèse également les détenteurs, à savoir principalement les collectivités locales en les empêchant de négocier librement les conditions de reprise avec les opérateurs de leur choix. Cela rappelle douloureusement les conditions observées pendant près de 10 ans en France, sur les conditions de reprise des déchets d’emballages ménagers. Les collectivités locales n’ont sans doute pas oublié la bouffée d’air frais que fut l’avènement de la reprise garantie, quand du jour au lendemain, certains matériaux (dont le prix de reprise était resté proche de zéro pendant des lustres, ndlr) se retrouvèrent soudain, avec une valeur extrêmement positive. Federec a saisi l’autorité de la concurrence sur la validité de ce décret et formé un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat.
La propriété des matières : un sujet qui va de pair à l’accessibilité aux gisements! Evidemment, tant qu’il s’agit d’amorcer la pompe d’une nouvelle filière et que les ressources tirées de la commercialisation des matières valorisées contenues dans les déchets sont maigres, personne ne se préoccupe trop de savoir à qui est dévolu le gâteau. Mais dès que ces ressources prennent un certain volume, les différents ne tardent pas à apparaître. La question de la propriété des matières issues du traitement des déchets des filières REP n’est toujours pas tranchée juridiquement. Dans le cas des DEEE, encore eux, il avait été convenu que pour des raisons de sécurité environnementale, les éco-organismes resteraient en charge des matières définies comme dangereuses pour l’environnement. Au fil du temps, la propriété des matières a eu tendance à évoluer, évidemment pas au bénéfice des opérateurs qui ont investi dans le matériel nécessaire à traiter les déchets complexes. Federec demande donc qu’une réflexion soit organisée afin de clarifier la question de la propriété des matières à recycler issues des déchets des filières REP.
Pour ce qui est de la faisabilité techniques, comme chacun sait, chacun voit midi à sa fenêtre…
Dans leur quête de contrôle à caractère « légèrement soviétique », certains éco-organismes ont un talent certain pour élaborer des cahiers des charges techniques d’une rigidité souvent peu compatible avec la réalité et l’efficacité de terrain. Ils partent du principe simple qu’eux savent et que les autres (les opérateurs, par exemple) sont ignorants. Du coup, le savoir-faire des professionnels issus souvent de longues années d’expérience, est rejeté en bloc. Certains éco-organismes (là, on ne balance pas parce qu’on va finir par croire qu’on a une dent contre ces « certains ») vont même jusqu’à exiger l’utilisation d’équipements spécifiques, sans évidemment assurer l’opérateur qu’il disposera de produits à traiter assez longtemps pour être lui permettre d’amortir les investissements exigés. Dans le respect de l’aspect constructif qui a dicté les lignes du livre blanc, les opérateurs de Federec souhaitent que puisse être introduite dans le cahier des charges des éco-organismes une étude de faisabilité technico-économique préalable aux appels d’offres.
Au fil du temps, le dirigisme dont certains éco-organismes sont habités, finit par les déconnecter des réalités économiques. Les marchés de matières premières recyclées sont, par essence, soumis à des fluctuations brutales. A l’issue de quelques audits, les éco-organismes se persuadent de détenir la Vérité en matière de coûts globaux. Des coûts que l’une de leur fonction essentielle est évidemment de minimiser. Il convient de rappeler ici que les éco-organismes, bien que disposant d’un agrément des pouvoirs publics, sont avant tout au service de leurs actionnaires. Certains tendent donc à s’inscrire dans des systèmes constituant l’ossature des contrats de prestations et de commercialisation de plus en plus rigides qui ne permettent plus de prendre en compte la réalité de l’évolution des marchés. Ils créent parfois, par ce biais, des difficultés, tant aux opérateurs qu’aux collectivités locales. Même en mettant en place des exigences, comme le fameux principe de proximité (dernière trouvaille de l’éco-organisme en charge des papiers, ndlr), totalement déconnecté de la réalité économique et des obligations réglementaires, il n’est évidemment pas question pour l’éco-organisme, d’assumer au plan financier les conséquences des risques qu’il fait encourir aux opérateurs et aux collectivités. L’intégration de l’expertise technique des opérateurs et des collectivités dans le fonctionnement des filières REP contribuerait à limiter ces risques.
Pas de « statue », un statut
Juridiquement parlant, l’éco-organisme est le plus souvent une drôle de bestiole. Société anonyme où sont donc associés des actionnaires « privés », elle s’affiche « à but non lucratif » et est investie d’une mission d’intérêt général à caractère public. Du fait de cette structure « bizarre », l’éco-organisme dispose de pouvoirs considérables et l’expérience a montré que le contrôle de l’Etat n’était pas infaillible. C’est pourquoi, on s’interroge dans le livre blanc s’il ne serait pas opportun, avec le recul d’expériences dont on dispose désormais, de réfléchir à l’évolution de ce statut particulier vers d’autres structures juridiques qui offriraient à la fois plus de transparence dans la gestion des filières et qui permettrait de fédérer l’ensemble des parties prenantes vers la véritable mission de ces éco-organismes, à savoir le développement de la production de matières premières recyclées.
La mission et rien que la mission…
Au moment de leur création, les éco-organismes sont généralement investis d’une mission relativement simple qui consiste à mettre en place, à l’aide de moyens financiers collectés le plus souvent auprès des consommateurs, les conditions de développement de la production de matières premières recyclées à partir de certains flux de déchets. Bien entendu, les éco-organismes sont également en charge du contrôle de la traçabilité. Cette charge a été mise à profit pour s’immiscer dans les installations et analyser les process industriels des opérateurs, ce qui pourrait être considéré comme un abus de pouvoir dès lors que les informations recueillies par ces pratiques ne sont pas directement liées aux obligations de l’éco-organisme. Pour Federec, la gestion pérenne d’une REP réside dans un « nécessaire équilibre en transparence des filières et respect du savoir-faire et de la confidentialité des opérateurs ». Certaines dispositions contenues dans les cahiers des charges vont jusqu’à permettre aux EO d’influencer la politique interne des entreprises opérantes et leurs orientations stratégiques. Il serait sans doute nécessaire, parfois, de recadrer les éco-organismes dans leur mission, mais il faudra pour cela, attendre pour le moins, leur prochain réagrément puisqu’il n’existe pas de structures de contrôle spécifiques permettant de remettre en question certaines pratiques abusives. Federec souhaite que l’on se concentre avant tout sur les performances des filières.
Une nouvelle gouvernance…
Et pour ce faire, Federec propose d’accroitre la présence des opérateurs dans la gouvernance des filières REP. La plupart des Commissions et autres Comités qui se développent autour des filières n’ont qu’une fonction consultative. Les opérateurs estiment nécessaire d’être mieux représentés au sein des conseils d’administration des filières et estiment que la présence de représentants des collectivités locales serait également fondée.
Préparer la REP de l’avenir
Le modèle « REP à la française » n’est pas prêt de s’éteindre. Federec estime même que la place des REP dans notre beau pays pourrait connaitre de nouveaux développements et insiste sur la nécessité de revenir aux fondamentaux, à savoir l’exercice d’une responsabilité sur un flux de déchets et non pas « une mainmise sur une matière qui n’est plus un déchet ». Une meilleure considération des véritables acteurs et des filières moins « philosophiques » mais davantage ancrées dans les réalités de l’économie pourraient être deux voies à explorer visant à améliorer les performances de ces structures. Il ne faudrait pas négliger le fait que malgré le bruit médiatique de ces filières, elles ne gèrent en fait qu’un très faible volume des déchets qui sont effectivement recyclés dans notre pays.